La vitrophanie, un remède contre la morosité des centres-villes
De plus en plus de municipalités recourent à l’artifice du trompe-l’œil pour masquer l’effet visuel désastreux de la désertification commerciale.
Des vitrines nues et poussiéreuses, barbouillées d’inscriptions brouillonnes, au travers desquelles se devine un intérieur froid et noir où de vieux cartons laissés à l’abandon emplissent la vacuité de l’espace…Ce sombre et sinistre tableau afflige depuis quelques années de nombreux centres-villes français frappés par une perte globale d’attractivité dont pâtissent en premier lieu les petites enseignes indépendantes : crise du pouvoir d’achat, concurrence agressive de la vente en ligne et des grandes surfaces, hausse des baux professionnels aggravée d’une fiscalité locale souvent confiscatoire…de multiples facteurs économiques et structurels expliquent l’accélération des fermetures de boutiques et le faible renouvellement de l’offre induit par la rareté des repreneurs.
Boucher les « dents creuses »
Dans le paysage, cette désertification se signale par un phénomène de « dents creuses », métaphore employée pour qualifier la discontinuité du linéaire commercial le long d’une même artère. A niveau national, le constat est quantifié par Procos (Fédération pour la Promotion du Commerce Spécialisé) qui estime à 11,1% le taux de locaux vides dans les zones urbaines – hors Ile-de-France-, un chiffre en hausse régulière depuis 2012 (7,2% à l’époque)*.
Même circonscrits à l’échelle d’une rue ou d’un quartier, les effets visuels de ce tissu décousu desservent l’image du territoire entier : c’est pourquoi, dans le cadre de politiques visant à redynamiser leurs bourgs, les décideurs des villes les plus touchées recourent, dans des proportions croissantes, au savoir-faire des publicitaires et à leurs solutions de vitrophanie. Cette technique, qui consiste à apposer des images autocollantes sur les devantures des magasins vides pour délivrer un message ou créer un trompe-l’œil, agit positivement sur l’imaginaire des passants (et des potentiels acquéreurs), autant qu’elle enraye le sentiment d’abandon et atténue l’impression générale de déclin.
Se conformer au Code de l’Environnement
Dans leur rapport « La revitalisation commerciale des centres-villes » (juillet 2016), l’Inspection générale des Finances et le Conseil général de l’Environnement et du Développement Durable préconisaient le recours à la vitrophanie pour « limiter la dégradation de l’espace visuel» et, par l’habillage provisoire des vitrines de magasins sans activité, « conserver l’esthétique propice au parcours client ». Cette stratégie de reconquête vise notamment à convertir les espaces vides en supports « de décoration ou de promotion des évènements de la ville ou son histoire» à grands renforts de photographies, de citations ou de motifs graphiques. Jusqu’à, dans certains cas, simuler la présence d’un commerce afin de laisser supposer qu’une future installation se prépare à cet emplacement.
Les enjeux d’un tel dispositif ne se limitent à des considérations économiques. Un aspect juridique entre désormais en ligne de compte : depuis 2014 et le vote de la loi ACTPE (pour l’Artisanat, le Commerce et les Très Petites Entreprises), l’article L. 581-14du Code de l’Environnement stipule que les règlements locaux de publicité établis par les collectivités sont à même de « définir des zones dans lesquelles tout occupant d’un local commercial visible depuis la rue ou, à défaut d’occupant, tout propriétaire doit veiller à ce que l’aspect extérieur de ce local ne porte pas atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants».