Le cinéma, un bon placement pour les « enseignes » ?
Qui se souvient d’avoir aperçu un garage Goodyear dans le film « Fight Club » (1996) ? Ou un restaurant ouvertement présenté comme celui du réseau « Burger King » dans Men in Black 2 et « Goodbye Lenin ! », deux œuvres respectivement sorties sur les écrans 2002 et 2003 ? Leurs enseignes ont investi dans ce qu’on appelle un placement de marque, une pratique publicitaire qui consiste à exposer leur logo depuis la façade d’un point de vente intégré furtivement dans le décor d’une séquence de cinéma.
Le « placement de produit » est presque aussi vieux que le cinématographe. Dès 1919, le court-métrage américain « The Garage » avec Buster Keaton et Roscoe Arbuckle exhibe au-dessus d’un guichet une pancarte qui mentionne très lisiblement le logo d’une chaîne de station-essence très connue à cette époque aux Etats-Unis, la Red Crown Gasoline surmonté de la marque d’huiles Zerolène. Cette rencontre presque pionnière entre le monde de la publicité et l’univers encore émergeant du grand-écran fut l’objet d’une critique acerbe rédigée dans les colonnes du magazine culturel Harrison’s Reports. Pratique que ses journalistes continuèrent à dénoncer et déplorer par la suite, après avoir visionné The Last World en 1925, puis Palmy Days (1925), Impact (1949) et Love Happy (1949).
Une enseigne de boutique ou un PLV dans le décor
Outre-Atlantique et même en Europe, jusqu’en France pourtant traditionnellement peu encline à transiger avec la noblesse de l’art, ce mélange des genres a depuis longtemps cessé de heurter les sensibilités. Sa pratique s’est amplifiée, au point d’être typologisée en plusieurs catégories distinctes : le placement de produit est dit « classique » s’il consiste à faire apparaître, sans aucune ambiguïté, une marchandise à l’écran (exemple : les bonbons Reese’s Pieces utilisés pour attirer l’E.T dans le film éponyme de Spielberg en 1984).
Il est qualifié d’institutionnel si l’opération vise, non pas à valoriser un produit, mais uniquement sa marque par le truchement d’une enseigne déployée sur la devanture d’un magasin astucieusement prise dans l’angle d’une caméra, à l’occasion d’un plan de quelques petites secondes : Fight Club, Men In Black, Goodbye Lenin, déjà cités, ont utilisé ce procédé désormais parfaitement admis par les professionnels du cinéma. Coca Cola s’est affiché à plusieurs reprises sous la forme d’une pancarte accrochée à la façade d’une boutique (dans The Birds en 1963) ou sur un quai de gare (dans l’Exorciste, en 1973). Les cinéphiles se souviennent sans doute aussi que Mcdo s’est offert une exposition en très grand format dans « Le cinquième Elément » de Luc Besson.
Des agences spécialisées dans le placement d’enseigne
Le temps où les annonceurs contactaient directement les producteurs de films ou de clips pour s’offrir une visibilité sur leurs « bandes » dont ils escomptaient le succès au box-office, semble aujourd’hui révolu.
La demande approche l’offre par le bais d’agences spécialisées qui proposent des candidats aux studios et à leurs mécènes pour négocier des contrats spécifiques, une fois que le scénario et le plan de financement sont bouclés. Les montants mis sur la table sont très variables selon l’ampleur de l’opération et le potentiel commercial de l’œuvre, de 5 000 à plusieurs centaines de milliers d’euros. A seul titre d’exemple, le site de vente en ligne Monshowroom avait investi 200 000 euros dans le film « La vérité si je mens 3 » (2012), une somme rondelette en contrepartie de laquelle un des protagonistes de la comédie devait citer la marque.
Il y a dix ans, le tarif standard pratiqué par Hollywood débutait à 22 000 dollars. Chaque année, le studio américain engrange plusieurs dizaines de milliards de dollars de recettes publicitaires. En France, le poids du marché consacré au placement de produit est estimé entre 15 et 18 millions d’euros.